Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
L’engagement pour un impact positif sur la société est le fil rouge de mon parcours, à la fois personnel et professionnel. Depuis 10 ans, je travaille dans l’intérêt général, que ce soit dans le secteur public, privé, associatif, la recherche ou l’économie sociale et solidaire.Je suis aujourd’hui directeur général de l’Impact Tank, un think tank créé par le Groupe SOS et 4 universités (Sciences Po, la Sorbonne, Dauphine et le CNAM). Tout au long de mon parcours, j’ai été guidé par une conviction : favoriser le dialogue entre les institutions, les entreprises, la société civile et le monde de la recherche, pour renouveler les façons de faire et provoquer des changements systémiques.
J’ai toujours été attiré par la façon dont des citoyens non organisés s’unissent pour trouver des solutions innovantes à des problématiques sociales et sociétales insuffisamment prises en compte. Ce sont souvent des solutions fondées sur la coopération, dans une société où la compétition domine et crée parfois plus de frustration qu’elle n’en résout.
Pouvez-vous nous présenter Impact Tank ?
L'Impact Tank est un think tank dédié à la question de la mesure d'impact et aux innovations sociales. Sa mission est de faire avancer la recherche sur l'innovation sociale en mettant en place des groupes de travail qui réunissent des mondes qui ne se parlent pas naturellement : le monde de l'entreprise, la recherche, les citoyens et les pouvoirs publics.Notre rôle est de faire émerger des référentiels communs, en dépassant les définitions propres à chaque secteur, afin de mieux piloter, améliorer ou orienter les investissements.
Une fois par an, nous organisons aussi le Sommet de la mesure d’impact, qui est devenu en 3 ans un rendez-vous de référence, au-delà des effets d’annonce ou des usages abusifs du mot « impact ».
Que recouvre aujourd’hui le mot « impact » selon vous ?
Le mot impact recouvre évidemment des réalités différentes selon les domaines.Dans l'économie sociale et solidaire, on parle d'impact social. L'enjeu est de mesurer les changements concrets dans la vie des bénéficiaires, grâce à des méthodologies issues des sciences sociales, quantitatives et qualitatives. Il y a ici une connotation très positive.
Dans l'industrie, on parlera d'impact environnemental, avec une connotation plutôt négative. Il s’agit de limiter son impact environnemental à l’aide d’outils issus des sciences de l'ingénieur, qui permettent de mesurer les effets d’un projet ou d’un produit sur l’ensemble de son cycle de vie.
Dans le domaine de l'évaluation des politiques publiques, on parlera d'évaluation d'impact. L’objectif est de mesurer les effets d'une politique publique sur ses bénéficiaires, à partir de modèles économétriques et de groupes de comparaison.
Enfin, dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), l’impact est intégré depuis 2010 avec la norme ISO 26000. Il s’agit d’adopter un comportement transparent, conforme aux réglementations. La RSE est désormais perçue comme un facteur de performance globale, intégré à la stratégie de l’entreprise.
La définition que nous retenons à l’Impact Tank, c’est celle des changements provoqués dans la vie des bénéficiaires et du lien de causalité entre ces changements et l’action de l’organisation.
Pourquoi avoir choisi le thème « Re-faire société » pour la 3e édition du Sommet de la mesure d’impact ?
Le contexte politique nous a imposé ce thème. Nous sommes dans une période d’effritement du lien social et de défiance croissante des citoyens envers les institutions… et entre eux. D’après le baromètre de la fraternité Ifop 2024, 80 % des Français déclarent ne pas faire confiance aux autres, qu’il s’agisse d’individus ou d’institutions.Cette année, le sommet est co-porté par le CESE, troisième assemblée constitutionnelle de la République. Ce n’est pas simplement un lieu d’accueil, c’est un signal fort. Sa présence traduit un engagement pour le dialogue entre société civile, recherche et pouvoirs publics.
La mesure d’impact joue aujourd’hui un rôle politique. Dans un débat souvent idéologique, elle permet de revenir aux faits. On peut ne pas partager les mêmes opinions, mais on doit pouvoir s’appuyer sur les mêmes données. C’est un moyen de recréer du lien, de nourrir la confiance et de prendre des décisions plus éclairées, qu’elles soient publiques ou privées.
Quels seront les temps forts de cette édition 2025 ?
Cette année, le Sommet comptera plus de 150 tables rondes, ateliers et débats. Il accueillera également des expositions d'artistes opprimés, autodidactes.Parmi les moments forts, la restitution officielle de 2 rapports : l'un sur le lien social, « Refaire nos liens, l'impact du lien social dans les territoires » ; l’autre sur l'école, « L'école ne peut pas agir seule », qui contient notamment des recommandations fortes sur la mixité sociale dans les établissements.
Je crois beaucoup à cette dernière. Les évaluations menées par le LIEPP (laboratoire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po) et par l’EHESS montrent que la mixité sociale ne change pas significativement les résultats scolaires. En revanche, elle a un impact fort sur la connaissance de l’autre, le sentiment de sécurité et le climat social. Elle favorise la rencontre, la compréhension et renforce la démocratie.
Nous lancerons également un groupe de travail sur la démocratie en entreprise : comment réinventer le lien de subordination, renforcer l’autonomie des salariés et faire évoluer les modèles de gouvernance.
Enfin, la venue de Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission européenne, sera un moment important. Il interviendra sur l’avenir de l’impact des entreprises en Europe, à l’heure de la directive CSRD.
Pourquoi les groupes de travail sont-ils au cœur de votre méthode ?
Nous travaillons toute l’année sur ces groupes de travail. Le sommet est le moment où nous rendons publics les résultats. Ce fonctionnement collaboratif part d’un constat : le mot « impact » est partout. C’est à la fois une opportunité et un risque. L’opportunité, c’est la prise de conscience. Le risque, c’est que chaque univers avance en silo, avec ses indicateurs et ses méthodes.Scientifiquement, le meilleur moyen de progresser est de réunir ces visions et de bâtir une définition commune. Cela permet d’avancer collectivement sur les questions sociales et environnementales.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le groupe de travail mené avec la Fondation MMA des Entrepreneurs du Futur ?
Il porte sur l'impact des programmes de développement économique dans les territoires, c'est-à-dire l'ensemble des organisations et des réseaux qui accompagnent les acteurs économiques à toutes les étapes de leur développement (création, amorçage, accélération, développement, etc.), pour pouvoir densifier un tissu économique local.Cela inclut des acteurs très variés : agences d'attractivité économique, réseaux d'entrepreneurs et d'entreprises, le Medef, le groupe Impact France, etc.
Les acteurs du développement économique dans les territoires ont longtemps mesuré leur performance avec des indicateurs d'activité, comme le nombre de projets accompagnés ou des indicateurs de résultats. Mais face aux enjeux sociaux et économiques, ces acteurs doivent désormais se questionner sur leur contribution à l’attractivité des territoires.
Le groupe de travail vise à identifier ces effets et à les mesurer, au-delà des simples données économiques.
Quel conseil donneriez-vous à une PME ou une ETI qui veut amorcer une transformation vers un modèle plus impactant ?
Il existe beaucoup de façons de s'engager dans une transformation. De nombreux programmes proposent d’accompagner les entrepreneurs. Les contraintes réglementaires s'imposent progressivement aux PME et aux ETI, et notamment la Directive européenne CSRD. De plus, les labels, comme l’AFNOR Engagé RSE ou B Corp, se multiplient.Le premier des conseils c'est de se poser la question du sens : avoir une vision claire de ce qu'on veut changer dans la vie des gens. C’est cette réflexion qui permet de guider l’action, plutôt que de répondre uniquement à une obligation de reporting.
Quelles sont les prochaines grandes étapes pour Impact Tank ?
Nous allons continuer à faire de la mesure d'impact un levier central du débat public. À un moment où les choix de société se font dans l’incertitude, il est essentiel d’avoir des repères solides et partagés.Nous poursuivons également notre travail pour faire dialoguer chercheurs, citoyens et décideurs, afin d’alimenter à la fois l’action publique et les stratégies des acteurs privés.
Enfin, nous voulons renforcer notre crédibilité scientifique, consolider nos liens avec le monde académique et produire encore davantage de contenus. Je travaille actuellement à la publication d’un ouvrage grand public, qui permettra de diffuser largement nos méthodologies : exigeant sur le fond, accessible sur la forme.