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Thomas Husson
Technologie 
Business 
19 mai 2025

Thomas Husson : « L’IA est en train de modifier notre rapport à la connaissance.»

À l’heure où l’intelligence artificielle transforme en profondeur les modèles économiques, les entrepreneurs ne peuvent plus se permettre de rester spectateurs.
Comprendre les enjeux, anticiper les mutations et identifier les opportunités concrètes devient une priorité stratégique. Pour éclairer ces questions, la Fondation MMA a interrogé Thomas Husson, vice-président et analyste chez Forrester, l’un des cabinets d’analyse les plus reconnus dans le domaine de la tech. Entre perspectives globales et conseils pratiques, il livre son regard sur les impacts réels de l’IA pour les entreprises.

Nous avons l’impression que 2025 marque véritablement l’entrée de l’IA générative dans tous les secteurs de l’économie. Partagez-vous ce constat ?

Oui, après une première phase de découverte et de tests ces deux dernières années, les outils d’IA générative se déploient progressivement dans tous les secteurs économiques, d’abord principalement dans les grandes entreprises et beaucoup plus lentement dans les PME. Une bonne partie de ces outils ne sont pas déployés officiellement par les entreprises mais sont souvent utilisés secrètement (c’est le phénomène de « shadow AI ») par des salariés appétents. Les entreprises ont commencé à identifier de nombreux cas d’usages, ont déployé des POCs mais au global elles sont encore peu nombreuses à avoir déployé à l’échelle.

Quelles sont les prévisions de Forrester pour 2025 et les années à venir ?

L’IA générative est une rupture majeure qui va non seulement permettre dans la durée des gains de productivité significatifs, mais et c’est souvent oublié, profondément modifier l’interface homme machine. Comme la machine est désormais capable de comprendre et produire le langage humain, l’IA va changer notre manière d’interagir avec la technologie et avec les marques. 2025 marque le début de l’IA agentique qui va profondément bouleverser l’équilibre des forces entre les acteurs du logiciel.

Quelles sont les secteurs les plus utilisateurs ? Et les plus réfractaires ?

Les agences marketing sont plus en pointe dans l’adoption et l’usage. Viennent ensuite les acteurs qui produisent beaucoup de contenus, et notamment les grandes marques de consommation qui ont une présence mondiale. Les secteurs de la banque, de l’assurance ou des télécoms, déploient également de nombreuses solutions d’IA dans la relation client. Au final l’appétence à l’IA générative est davantage liée à la maturité data d’une entreprise, à sa gouvernance, et à sa culture de l’innovation.

Quels changements concrets l’IA apporte-t-elle déjà dans le monde de l’entreprise aujourd’hui ?

Il faut distinguer l’IA prédictive de l’IA générative. Les modèles de machine learning ou de deep learning sont utilisés depuis de nombreuses années et permettent déjà d’optimiser de nombreux process, comme la gestion de la chaîne logistique, la maintenance prédictive ou la détection des fraudes. L’IA générative permet principalement des gains de temps, un accès plus rapide à l’information et une automatisation des tâches répétitives.

Quelles sont, selon vous, les principales opportunités que les dirigeants d’entreprise devraient explorer avec l’IA dans les prochaines années ?

L’IA va bouleverser les parcours clients traditionnels pour les entreprises les plus digitalisées et permettre une plus grande personnalisation de l’expérience client, avec des interfaces de plus en plus conversationnelles. Si l’IA agentique se déploie avec les bons mécanismes de contrôle pour encadrer l’autonomie des agents, elle devrait également permettre d’améliorer la prise de décision. Les cas d’usage sont nombreux et l’organisation même du travail au sein de l’entreprise sera remise en cause tout comme le fonctionnement des systèmes d’information.

Quels sont les risques ou écueils les plus fréquents que vous observez chez les entreprises qui se lancent dans l’IA ?

Le principal écueil est se concentrer sur la technologie. C’est d’abord une question culturelle et organisationnelle, et ensuite seulement une question technologique. Les freins au déploiement sont nombreux notamment ceux liés aux risques concernant le respect de la vie privée des données, la sécurité, et au final le niveau de maturité des entreprises et leur capacité à s’adapter au changement. L’IA reste un outil et comme toute rupture technologique, cela suppose une acculturation forte qui passe par la sensibilisation et la formation des collaborateurs.

Comment une PME ou une ETI peut-elle commencer à intégrer l’IA dans sa stratégie ?

Aujourd’hui les PME et ETI sont moins matures dans l’adoption de l’IA – et notamment les dirigeants comme l’a montré une étude de la BPI. Pour se projeter dans des cas d’usage concrets, il faut tester les outils et se poser les bonnes questions. La question n’est pas que puis-je faire avec l’IA ?, mais comment l’IA peut m’aider à réaliser mes objectifs ? Par manque de temps et de moyens, mieux vaut sélectionner quelques prestataires ayant des solutions qui s’intègrent dans les processus et les workflows existants pour faciliter leur adoption par les collaborateurs.

Enfin comment envisagez-vous l'évolution des relations entre l'homme et l'intelligence artificielle à court et moyen terme ?

L’IA est en train de modifier profondément notre rapport à la connaissance. Les salariés exerçant des tâches intellectuelles vont comme les ouvriers autrefois, apprendre à travailler avec des robots et des agents. Une fois que l’on comprend que l’IA générative est probabiliste et pas déterministe, l’IA peut devenir un assistant des tâches du quotidien et en exécuter certaines dans le cadre d’une autonomie prédéfinie. A moyen terme, se pose la question de l’IA générale qui est toujours le sujet d’un débat entre les experts de l’IA. Ce qui est certain c’est que les compétences liées au développement de l’esprit critique seront plus indispensables que jamais.

Pensez-vous qu'il soit nécessaire de promouvoir l'hybridation homme-machine pour maximiser les résultats ?

Oui, comme les outils sont disponibles pour tout le monde, l’une des manières de se différencier n’est pas juste de superviser l’agent mais de s’assurer que l’émotion, l’anecdote, l’informel, les sens, la créativité, l’humour, bref tout ce qui fait de nous des êtres humains soient bien pris en compte. Pour vraiment exploiter les modèles de langage et l’IA générative, il faut activer des connaissances et des expertises, ce qui fait le savoir-faire unique d’une entreprise.


 
Thomas Husson est Vice-Président et analyst chez Forrester.
 

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