Fondation d'entreprise
 
 
André Letowski
Etudes 
18 avr 2024

7 familles de porteurs de projet à la création d’entreprise

L’étude vise à repérer les caractéristiques des porteurs de projet accompagnés par les Boutiques de Gestion pour appréhender quelles pédagogies déployer avec ces personnes.

Profils

78 % sont des demandeurs d’emploi, dont 44 % depuis moins d’un an et 29 % plus d’un an, alors que 22 % sont en emploi (dont 12 % en CDI, 3 % en CDD).

30 % appartiennent aux CSP+ (21 % dans l’ensemble de la population), 18 % aux CSP intermédiaires (vs 25) et 52 % aux CSP- (vs 54).

37 % sont en dessous du seuil de pauvreté, 27 % des ménages modestes, 18 % des ménages moyens et 18 % des ménages aisés.

56 % sont des femmes : 30 % ont moins de 35 ans et 13 % plus 55 ans.

Ces dernières années les chiffres témoignent d’un public plus diplômé, plus féminin mais aussi plus précaire.

Qui passe à l’acte et devient créateur ?

A l’issue du programme BGE, 32 % s’immatriculent :

Les femmes le font plus que les hommes (33 % vs 25). Noter que 42 % de l'ensemble ont toujours le projet de le faire dans les mois ou années à venir, mais 26 % ont abandonné le projet.

♦ En ce qui concerne le niveau de diplôme : s’immatriculent 28 % de ceux de niveau CAP, 36-37 % ceux de niveau bac+2 et +3 et 41 % ceux de niveau Bac +4 et au-delà.

♦ Les personnes dont le niveau de vie est relativement aisé sont celles qui vont le plus passer à l’acte : 46 % les ménages relativement aisés, 37 % les ménages aisés, 33 % les ménages modestes et 27 % ceux sous le seuil de pauvreté.

♦ Selon le secteur d’activité : le BTP (53 %), le transport/logistique (41), la santé (40), le secteur du bien-être/épanouissement personnel (37), le commerce (36), l’industrie/artisanat (34), les services aux personnes (32), les HCR (31), l’informatique et télécom (30), les services aux entreprises (29), l’agriculture (22) et les activités liées à la transition écologique (20).

♦ Leurs motivations :
  • Être indépendant, éviter le salariat de loin la plus importante (toutes citations 85% dont en 1ere citation 37), voire créer son propre emploi (18 dont 9) ; les personnes motivées par la volonté d’être indépendant passent plus à l’acte que ceux motivés par une volonté d’utilité sociale,
  • Puis ce qui concerne directement le fait entrepreneurial : tenter l’aventure entrepreneuriale (31 dont 9), sortir de la routine, affronter de nouveaux défis, tenter l’aventure entrepreneuriale (30 dont 9), vendre un produit auquel ils croient (28 dont 9), saisir une opportunité, un marché existant (24 dont 9), augmenter ses revenus (20 dont 5), créer des services là où il en manque (17 dont 6),
  • Ou une approche sociétale (bien plus modeste) : être utile aux autres (17 dont 6), prendre soin des autres (15 dont 4), créer des emplois (6 dont 1), agir pour le climat ( 5 dont 2), lutter contre le gaspillage (3 dont 1), agir pour l’équité sociale (3 dont 0,4).
Ainsi ceux qui s’immatriculent sont plutôt davantage diplômés, ont un niveau de vie un peu plus favorable et sont très motivés.

Leurs réalités entrepreneuriales

♦ En termes de chiffre d’affaires : 44 % estiment que leur chiffre d’affaires est à la hauteur ou supérieur à leurs attentes au moment de la création de leur entreprise (45 % pour les CSP+, 43 pour les CSP- et 41% pour les demandeurs d’emploi) ; noter que les revenus les plus faibles chiffraient moins de 800€ mensuels avant l’immatriculation et plus de 4 100€ nets pour les plus élevés.

Les personnes qui ont atteint un chiffre d’affaires au moins égal à leurs attentes sont pour 49 % des hommes, 47 des créations en société, 42 des femmes et 41 en entreprises individuelles. Les personnes ayant de 3 à 10 ans d’expérience dans leur secteur d’activité sont 55-56 %, celles de 10 ans et plus (45-49 %) et celles de 1 à 2 ans (33 %) vs celles sans expérience 39 %.

Celles ayant atteint au moins un chiffre égal ou supérieur à leurs attentes sont dans les activités transport/logistique (67 %), puis dans la santé (52), le commerce (51), l’agriculture (49) et l’industrie/artisanat (47) ; ensuite on se situe entre 38 et 43% sauf pour les HCR (30).

En termes de chiffre d’affaires annuel, les plus élevés sont le fait de création d’au moins 4 ans d’ancienneté (74 812€), devant ceux ayant 2 à 3 ans autour de 55 000€), puis un an (40 760€) et l’année de création (29 000€).
42 % ont vu leur chiffre d’affaires croitre de manière régulière (60-61 % pour les SARL et EURL), 45% pour les entreprises individuelles (pour 26 % de ces dernières le chiffre croit de façon irrégulière vs 10-13% pour les autres). Il est stable pour 23-24%. 60% anticipent une progression à la hausse.
63 % jugent complexe de faire perdurer leur entreprise, alors que 64 % ont trouvé plutôt simple la mise en œuvre de leur création. Le plus difficile est le fait d’attirer et de fidéliser les clients (37 %), loin devant les problèmes de conjoncture (28), les contraintes de l’administration dont la réglementation (12), les difficultés financières (7).

57 % se donnent une note de 7 à 10 pour évaluer la réussite de leur projet de création, 20 % une note de 5 ou 6, 11 % 4 au plus, mais 13 % disent n’avoir pas assez de recul pour répondre.
98 %, dont tout à fait 78 (de celles qui ont un CA au moins égal à leurs attentes), déclarent bonne l’expérience de la création. Pour celles ayant un CA inférieur à leurs attentes, ce sont 94 % (mais dont 56 tout à fait). 93 % de l'ensemble (dont tout à fait 69) le referaient.

Une typologie en 7 familles

Tout d’abord une question de méthodologie : une méthode commune est appliquée aux créateurs et non-créateurs (analyse en composantes principales puis classification ascendante hiérarchique), avec des variables d’entrée légèrement différentes.
Pourquoi cette recherche de segmentation ? Pour sortir des stéréotypes (sociotypes) trompeurs car caricaturaux, pour évaluer plus finement les besoins des entrepreneur·e·s et s’adapter à leur parcours, et enfin repérer les entrepreneur·e·s avec les trajectoires les plus prometteuses.


♦ Chez les 68 % n’ayant pas encore lancé leur projet : pour 34 % leur choix est fait, ce ne sera pas la création ; 18 % vont créer et 16 % ne savent pas se prononcer.
  • Ceux qui abandonnent le projet (34 %) : pour eux la réussite est due essentiellement à la chance ; c’est le segment le moins ambitieux, le moins persévérant, peu à l’aise hors de sa zone de confort, qui tend à craindre la prise de décisions. On y trouve des ménages les moins précaires.
ENJEUX : leur décision est claire. Une fois le deuil du projet réalisé, les aider à valoriser leurs capacités et compétences et les orienter vers un retour à l’emploi.
  • Ceux qui hésitent (16 %) : ils préfèrent attendre le bon moment d’autant qu’ils ne sont assez confiants dans le fait de passer à l’acte. Pourtant ils sont relativement ambitieux pour forger leur propre réussite. Ils aiment élargir le cercle de leurs relations. Mais c’est le segment qui réagit le plus mal au stress, qui craint parfois le conflit et la prise de décisions. Ils ont plutôt un faible niveau de vie.
ENJEUX : les pousser à agir (avec majoritairement un retour à l’emploi).
  • Ceux qui vont créer (18 %) : enthousiastes à l’idée de créer leur entreprise, ils sont relativement sûrs d’eux et cochent les bonnes cases : ils ont de hauts scores de détermination, aiment sortir de leur zone de confort, réagissent bien à la pression, n’ont pas peur de prendre des décisions, aiment prendre les choses en main et fédérer. On y trouve une très nette surreprésentation des ménages avec un faible niveau de vie.
ENJEUX : Ils ont besoin de plus de temps que la moyenne pour concrétiser leur projet. Les aider à finaliser leurs choix, à sécuriser leurs décisions.

♦ Les 32 % qui ont lancé leur projet :

  • Les certains (10 %) : ce sont les créateurs qui s’en sortent le mieux (un chiffre d’affaires à la hauteur de leurs attentes, les plus nombreux à avoir embauché, 20 %). Ils ont un haut score de détermination, sont à l’aise avec l’idée de sortir de leur zone de confort, réagissent particulièrement bien à la pression, n’ont pas peur de prendre des décisions et aiment fédérer. Ils sont surreprésentés parmi les couples avec enfants et parmi les femmes.
ENJEUX : les suivre régulièrement afin de valider que les trajectoires de développement sont bien « pensées », les aider à envisager des écueils, mobiliser les ressources nécessaires à leur développement, les aider à aller au maximum de leurs possibilités / capacités.
  • Les optimistes (11 %) : bien qu’ils connaissent un début difficile, ils restent confiants dans leur projet. Seule une minorité dit atteindre un chiffre d’affaires à la hauteur de leurs attentes. Ils ont aussi les moins nombreux à avoir embauché (14 %). Mais ils sont ambitieux et relativement déterminés. Ils réagissent parfois mal à la pression et préfèrent plus que la moyenne avancer seuls. C’est le groupe avec la moyenne d’âge la plus basse. Ils sont surreprésentés parmi les couples avec enfants.
ENJEUX : les aider à analyser leur situation et à prendre des décisions ; leur optimisme peut-il être un moteur suffisant à leur réussite économique et si oui à quelles conditions ?
  • Les incertains (8 %) : s’ils ne s’en sortent pas trop mal, ils ne sont pas confiants pour autant. S’ils ont un CA légèrement supérieur à la moyenne des créateurs. Ils sont les moins nombreux à avoir embauché (14 %). Ils ont les plus hauts scores associés à la détermination et à la capacité à prendre des décisions, mais sont peu à l’aise avec le fait de sortir de leur zone de confort et ne réagissent pas toujours bien à la pression. C’est le groupe le plus âgé.
ENJEUX : les coacher pour les rassurer dans leurs capacités à réussir, les aider dans les processus de choix, faire ressortir les points forts de leurs activités, leur conseiller de se former et de participer à des clubs d’entrepreneurs pour éviter l’isolement.
  • Les déçus (3 %) : ce sont les créateurs qui doutent le plus, alors qu’ils étaient paradoxalement les plus convaincus de la réussite de leur projet. Pourtant leur CA en 1ère année ou celui du dernier exercice fiscal ne sont pas inférieurs à la moyenne. S’ils sont ambitieux, ils considèrent que la réussite est liée essentiellement à la chance. Peu à l’aise hors de leur zone de confort, ils réagissent mal au stress, préfèrent avancer seuls et restreignent leur cercle de relations. On constate une surreprésentation des célibataires sans enfant.
ENJEUX : les aider au besoin à décider quand et comment arrêter leurs activités dans de bonnes conditions ; les aider à formaliser les savoirs acquis à travers cette expérience pour rebondir vers un nouveau projet professionnel.

Conclusion sur les profils

  • Le profil psychologique des porteurs de projets (parmi d’autres facteurs, tels que les ressources déployables, le secteur d’activité, la motivation à la création…) est déterminant dans le fait de passer à l’acte (s’immatriculer), de réussir à atteindre des résultats financiers à la hauteur de leurs espérances, ainsi que sur le vécu de l’exercice entrepreneurial.
  • Certaines qualités psychologiques (la propension à s’entourer, la tolérance au stress, la facilité à sortir de sa zone de confort…) semblent aider la réussite entrepreneuriale à court terme. D’autres semblent davantage servir une forme de résilience, qui permet de ne pas baisser les bras trop vite (la persévérance, le lieu de maitrise, l’ambition).
  • La motivation intrinsèque à la création d’entreprise (le fait de vouloir créer une entreprise parce que justement on apprécie cet exercice, le fait d’être indépendant, etc.) est déterminante dans le passage à l’acte.
  • Les projets se construisent manifestement sur un temps long.
  • Niveau de vie, situation dans l’emploi avant de s’immatriculer, genre, diplômes influent marginalement sur l’appartenance à une famille.

Pour en savoir davantage : "Entrepreneuriat : une histoire de 7 familles", BGE, l’ObSoCo, lu mars 2024

Méthodologie : échantillon de 5 990 personnes représentatif des participants aux programmes BGE d’appui aux entrepreneurs entre 2018 et 2022 ; 5 265 ont répondu à l’intégralité du questionnaire. Près de 50 % des répondants se trouvent dans des situations économiques complexes.
Deux cibles ont été interrogées : les personnes qui se sont immatriculées à l’issue de leur participation aux programmes BGE (les « créateurs » avec 3 371 personnes interrogées et les « non-créateurs » avec 2 259 personnes interrogées).
Redressement de l’échantillon sur les variables suivantes : âge, genre, région de résidence, niveau de diplôme, situation professionnelle, année de participation aux programmes BGE, création d’entreprise à l’issue du passage chez BGE et statut de l’entreprise créée. Interrogations entre le 6 janvier et le 27 février 2023.

“Des points de vigilance restent d’actualité : Il s’agit de réussir le passage d’une envie entrepreneuriale forte et répandue à tous les milieux, la réussite entrepreneuriale. Cette étude nous éclaire sur des sujets clefs pour orienter nos efforts : une motivation à entreprendre très fortement liée à une envie d’indépendance qui va en s’amplifiant ; se mettre à son compte est un réel et puissant moteur à l’action, un choix profond.
Des facteurs sont déterminants pour passer à l’acte mais « s’effacent » sur les trajectoires de développement de l’entreprise ; l’entrepreneuriat permet de s’extraire de situations sociales perçues comme figées, c’est un réel levier positif sur les trajectoires professionnelles.
Cette réalité enthousiasmante ne doit pas cacher les difficultés, notamment économiques. Le niveau de vie des entrepreneur·e·s doit être un sujet de vigilance. Et l’importance de passer d’une vision « stéréotype » à une vision plus complexe intégrant motivation, capacité et trajectoire.”
 
André Letowski est expert en entrepreneuriat, en petites et très petites entreprises. Il publie une note mensuelle regroupant une sélection brute ou retravaillée et commentée des corpus statistiques français, des enquêtes et publications concernant le domaine des TPE, PE et PME.




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